Revue Inferno
Juin 2012

La prestigieuse foire d’art Art Basel ouvre ce jeudi 14 juin au public, pour une 43e édition où se côtoient les “stars” de la planète art. Plus de 2500 artistes, 300 galeries en provenance d’Amérique du Nord, d’Europe, d’Asie et d’Amérique du Sud pour plus de 70 000 visiteurs attendus. Art Unlimited une exposition de projets artistiques XXL se déploie au cœur de cet événement, dans un vaste hall de 10 000 mètres carré.

Cette exposition montre un ensemble d’œuvres proposées par les galeries présentes à Art Basel. Elle opère comme une plateforme à même d’accueillir des projets démesurés hors des formats classiques des stands de foires d’art. L’Art Basel Committee 1, chargé de la sélection, a retenu cette année soixante-deux réalisations, soit un tiers des propositions. Elles seront données à voir brièvement durant six jours, le but étant de vendre ces dispositifs à des institutions, ou à des collectionneurs, qui les remettront en contexte ultérieurement. Cette année, le commissariat a été confié à Gianni Jetzer, un curateur expérimenté et critique d’art suisse, basé à New York. Avant de reprendre cette fonction, il dirigeait depuis 2006, le Swiss Institute Contemporary Art de New York. Il succède à Simon Lamunière qui était rattaché à ArtUnlimited depuis les débuts, en 2000. Pour réaliser cette exposition, Gianni Jetzer, partant de la sélection de la commission, a réfléchi aux relations existantes entre chacun des travaux. La circulation entre les projets semble de ce fait organique, malgré le format surdimensionné de l’événement. Une unité qu’il était difficile de garantir avec ce format d'exposition, muséal par sa taille, et de par la qualité des œuvres exposées, mais totalement commercial. La valeur individuelle de chaque projet primant sur la vue d’ensemble. 

Parmi les travaux, une large place est bien sur donnée aux œuvres physiquement imposantes, comme par exemple Gekröse, une sculpture de Franz West qui se repère de loin, et qui attire avec sa couleur rose tendre, sa texture charnelle et ses courbes organiques. La peinture est représentée sous de nombreuses formes. 

L’œuvre minimale d’OlivierMosset, composée de rayures dans lesquelles s’alternent le jaune, souvent célébré par l’artiste, et un rose soutenu, tapisse deux murs immenses, chacun mesurant près de six mètres de hauteur, et neuf mètre cinquante de longueur. 

The end Venezia de Ragnar Kjartansson consiste en cent quarante quatre portraits réalisés chaque jour durant six mois lors de la Biennale de Venise 2009 et présenté à Bâle dans leur totalité sous la forme d’une installation désopilante. 

Untitled (Paula) de Rudolf Stingel, interroge les limites entre peinture et photographie avec un portrait à l’huile très grand qui dévoile seulement, lorsque l’on s’approche, les touches du pinceau. 

Un questionnement qui se poursuit sous une toute autre forme chez Shirana Shahbazi, véritable exploratrice des champs chromatiques. 

SP181;SP185 de Sterling Ruby consiste en quatre grandes toiles qui transcendent les genres. Il pourrait s’agir d’unereprésentation impressionniste d’un après-midi pluvieux à la manière des nymphéas de Monet, mais réalisée avec un spray toxique hallucinogène.

Les blacks cubes présentant des vidéos, un format impossible à montrer sur les stands, sont nombreux et fascinants pour la plupart. Pourtant, retenir l’attention des visiteurs dans le contexte saturé de signes d’Art Basel est un défi conséquent. BodyDouble 27 de Brice Dellsperger est une vidéo dans laquelle des étudiants et des étudiantes rejouent en boucle une scène du film l’Année des treize lune de Rainer Fassbinder. Les jeunes gens, vêtus de la même robe, coiffés d’une perruque, et affublés de faux cils, indifféremment qu’ils soient de sexe féminin, ou masculin, se succèdent sur trois écrans simultanés, pleurant en gros plan, le bruit de leurs sanglots étant recouvert par une bande son violente. La répétition, le travestissement et les larmes créent un effet tragi-comique, une sorte de méditation émouvante sur le monde des drag queens, sur leur supposée solitude, et plus généralement, sur les mécanismes du désir et sur la non réciprocité en amour.

Dans un tout autre registre, la proposition radicale de David Claerbout se situe aux limites du genre cinématographique, photographique et pictural. L’œuvre est si sombre qu’un ouvreur éclaire l’accès à l’espace où elle se tient à l’aide d’une lampe de poche. Sur l’écran, une image fondue au noir oblige le spectateur à scruter l’obscurité pour ne saisir la scène que lorsque ses yeux se sont habitués à l’obscurité. Ni fixe, ni en mouvement, l’image vibre d’un mouvement imperceptible, celui oscillant de la lumière du caisson lumineux sur laquelle elle est fixée. 

La vidéo de six minutes de Jeremy Deller, qui montre des milliers de chauve souris, invite les spectateurs munis de lunettes 3D à pénétrer le langage de ces animaux nocturnes.

Cette exploration du monde animal se retrouve aussi sous d’autres formes dans l’exposition. Tragedy de Nina Beier consiste à présenter un chien vivant qui joue le mort, couché sur un tapis persan. 

Primitive d’UgoRondinone comprend cinquante neuf oiseaux en bronze posés au sol, emprunts des marques des doigts qui les ont façonnés. Partant chacun dans des directions différentes sous l’éclairage d’une pendule sans aiguille, ils renvoient à l’absence d’esprit de collectivité qui caractérise le XXIe siècle et à laconscience du temps qui passe. 

They I you he we le monstrueux serpent à deux têtes de Valentin Carron, un artiste qui représentera la Suisse à la Biennale de Venise 2013, interpelle le visiteur avec une certaine férocité emprunte de mélancolie.

Une autre spécificité majeure de cette édition réside dans la présence d’œuvres et d’artistes des années soixante et septante, dont certaines historiques comme les sculptures de Pier Paolo Calzolari constituées de matelas sculptés à l’air glacé. 

Où encore l’œuvre conceptuelle de l’artiste allemande Hanne Darboven, composée de deux cent cinquante six feuilles qui comprennent des écrits autour du mot « sand », de Sandplatz à Hamburg où l’artiste est née, jusqu’à Georges Sand, l’écrivain française.

Un parcours dans la villede Bâle, une extension à Art Unlimited, propose un programme le soir avec des performances et des interventions in situ. Claude Lévêque initie cet itinéraire avec Ring of Fire, une sculpture disposée à cinq mètres du sol composée d’une caravane éclairée par une guirlande lumineuse qui s’érige entre ciel et terre.

En addition à cette exposition, et à celles présentées sur les trois cent stands des galeries, une multitude d’événements collatéraux se produisent. Parmi lesquels les Swiss ArtAwards qui présentent les artistes émergeant de la scène régionale.

Art Basel 2012
Jusqu’au 17 juin 2012
www.artbasel.com


Légende : Rudolf Stingel, Claude Lévêque, Cosima von Bonin, Raqs media collective, Jimmie Durham, Franz West & Hamish Fulton, Alicja Kwade, Jeanne Gillard. Photo : Josiane Guilloud-Cavat
Démesure organique
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Démesure organique

Un compte rendu d'Art Unlimited 2012

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